sois jeune et tais toi
sois jeune et tais toi

Journal d’une Neet : désillusions d’une jeune paumée.

“Sois jeune et tais-toi : réponse à ceux qui critiquent la jeunesse”, Salomé Saqué

Dans son ouvrage “Sois jeune et tais-toi : réponse à ceux qui critiquent la jeunesse”, la journaliste Salomé Saqué parle de cette jeunesse sacrifiée sur l’autel de la réussite et du profit, une jeunesse toujours plus précaire et désabusée qui tente, malgré un contexte actuel des plus moroses, de se faire une place dans la société. Elle y aborde aussi le sujet des Neet, des “jeunes de 16 à 25 ans qui sont ni en études, ni en emploi, ni en formation - les grands perdants du système”, dit-elle dans son ouvrage. Ce passage m’a marqué, bouleversé presque, car pour la première fois, depuis longtemps, j’ai pu mettre un mot sur ce que j’étais. Ce livre m’a aussi poussé à réfléchir, sur les espoirs que la jeune enfant que j’ai été, un jour, nourrissait quant à son avenir, mais aussi à ce que l’adulte que je suis devenue ressent aujourd’hui quand elle doit faire face à ce dit avenir, pas aussi glorieux et flamboyant qu’elle l’aurait voulu. 

Life
Publié le
1/5/24
Mis à jour le
8
minutes de lecture

Oscar Wilde ou la romantisation des sans avenir

Stephen Fry, célèbre artiste britannique aux multiples facettes, a un jour dit :

"Oscar Wilde a dit que si vous savez ce que vous voulez être, alors vous le devenez inévitablement - c'est votre punition, mais si vous ne savez jamais, alors vous pouvez être n'importe quoi. Il y a une vérité là-dedans. Nous ne sommes pas des noms, nous sommes des verbes. Je ne suis pas une chose - un acteur, un écrivain - je suis une personne qui fait des choses - j'écris, j'agis - et je ne sais jamais ce que je vais faire ensuite, je pense qu'on peut être emprisonné, si on se considère comme un nom.”

Charmante citation, j’en conçois, reprise par plusieurs sur TikTok, qui peut faire réfléchir quant à notre but dans cette société carriériste qui nous pousse chaque jour à donner un peu plus de notre flamme aux plus grands pour espérer se hisser en haut de l’échelle. Depuis notre plus jeune âge, les adultes se plaisent à nous demander “ce que l’on souhaite faire plus tard”, dès notre plus jeune âge ces attentes de réussite sont posées sur nos frêles épaules, on nous jette dans la fosse aux lions, où il faut être le plus fort mais, surtout un parfait petit soldat, heureux de se plier à ce jeu de la réussite professionnelle. 

Et toi, qu’est ce que tu veux faire quand tu seras plus grand ? 

D’aussi loin que je m’en rappelle, je n’ai jamais été réellement capable de me dessiner un futur, je n’étais pas l’élève la plus brillante jusqu’à ma dernière année de lycée. Je n’étais pas mauvaise, loin de là, disons que je me plaisais à être dans la moyenne, jamais en haut de cortège, mais jamais en bas non plus. Mes professeurs s'accordaient même à le dire, louant les réussites de mon frère qui brillait par son intelligence et ses exploits sportifs. Moi, j’étais là, discrète, je ne sortais pas du lot, et pour être franche, je ne voulais pas sortir du lot, j’étais bien à ma place, on ne m’en demandait pas trop, on n’était pas inquiet non plus pour ma réussite, car je m’en sortais toujours. Quand la question de mon futur se posait face à moi, je la balayais du revers de la main, après tout, j’avais le temps, toute la vie devant moi et puis pourquoi devais-je faire un choix d’abord ? La veille, je voulais être actrice et le lendemain avocat, et sur mon temps libre, je serais vétérinaire. Ce plan de vie me paraissait parfait, il m’était inimaginable de finir comme tous ces adultes qui avaient perdu leur éclat, qui étaient pris dans leur routine, réalisant que bien trop tard qu’ils étaient condamnés à rester en bas de l’échelle, à réaliser le rêve d’un autre. 

Seulement bien trop rapidement, je me suis rapprochée de l’âge adulte, ma plus grande peur était désormais face à moi, j’étais obligée de faire un choix, même si tout mon être luttait contre. Devais-je aller en fac de droit, d’histoire, ou de géographie peut-être, après tout, je me débrouillais plutôt bien dans cette matière ? J’ai enchaîné la lecture de brochures, plus je tentais de faire un choix, plus des chemins s'ouvraient à moi, et si au final, je faisais une école de communication ? Non, ce n’est pas pour moi, je refuse de payer pour mon éducation, le savoir devrait être à portée de tous. Alors je décide plutôt de me tourner vers une fac de Langues, j’ai toujours été forte en anglais et ça ne me demandera pas beaucoup d'efforts pour obtenir mon diplôme. La petite Marie-Sara de 18 ans ne s’était pas trompée, en 2021, je ressors fièrement diplômée avec ma licence LEA, mais voilà, on me demande encore de faire un choix. Moi, je ne sais pas, je suis trop jeune, le covid est passé par là et a embarqué avec lui mes espoirs d’un avenir radieux. Je me verrais bien faire du journalisme, pour ça il faudrait que je monte sur Paris, je suis vite découragée par cette perspective, trop coûteuse, et puis qu’est ce que j’irais faire seule à Paris, alors je me dis que je devrais faire une pause, prendre une année pour réfléchir mais non, les jugements de mon entourage me pèsent trop et je décide de m'inscrire en Master LEA, une suite logique à mes études, je ne prends pas de risques, mais je vois s’envoler mes espoirs de faire quelque chose qui me plaît. Mon plus grand cauchemar se réalise, de toutes les voies qui s’ouvraient à moi, j’ai emprunté celle de l’adulte sans âme qui troque sa flamme pour un diplôme, un CDI et un prêt pour une belle maison en campagne. Bien sûr, il ne m’a pas fallu longtemps pour fuir ce master, dès le premier mois de cours j’enchaîne les épisodes d'angoisse et de pleurs, à me demander si je ne ferais pas mieux de me prendre ce tram plutôt que de le prendre pour me rendre en cours (pour des raisons légales, cette phrase est une blague). 

Journal d’une déscolarisée : les grands oubliés du système

En janvier 2022, plutôt que de me préoccuper de ma recherche de stage, je préfère fuir à Amsterdam le temps d’un voyage avec ma meilleure amie. Ce voyage marque le début de ma déscolarisation et sûrement un enchaînement de mauvais choix. Les mois s’écoulent et je ne suis pas sûre de la route que j’emprunte, je ne peux pas rester à me morfondre chez moi, il faut que je travaille, et peut-être que comme ça, je pourrais économiser pour reprendre mes études dans un domaine qui me plaît. Le temps d’un été, je fais caissière dans un petit supermarché, pas le job de rêve, mais c’est que temporaire. Je travaille 6j/7j, je fais plus de deux heures de trajet par jour pour me rendre au taf, de tout l’été, je ne verrais que les néons de ce magasin et je me demande “qu’est ce que je fous de ma vie”. Un des petits habitués de ce magasin, Charles, âgé de plus de 80 ans, voit ma peine et me répète souvent qu’à mon âge, il faut découvrir le monde, j'aurais tout le temps d’être une adulte triste, bloquée dans la routine. Parfois, souvent même, je me dis que j’aurais dû l’écouter. Au mois de septembre 2022, je démissionne, une opportunité s’offre à moi, travailler dans une librairie de mangas, j’en lis depuis mon plus jeune âge et j’ai toujours dit que je rêvais d’ouvrir ma librairie, alors y travailler, c’est l’opportunité de découvrir ce milieu. C’est pas mal là-bas, l'ambiance est cool, j’ai accès à plein d’ouvrages, mais je me rends vite compte que je suis condamnée à être la caissière de la boutique et que malgré les belles promesses, je ne serais jamais à 100 % libraire, mais ce n’est pas grave, ce job n’est que temporaire et je compte reprendre mes études. Seulement, voilà début 2023, je tombe malade, entre le travail et les moments où je ne me sens pas capable de sortir de mon lit, je décide de mettre de côté mes recherches pour une reprise d’étude, je verrais l’année suivante, mais je sais qu’après deux années déscolarisée, je dis au revoir à mes chances de réussir à revenir dans le circuit scolaire. 

En novembre 2023, j’ai atteint ma limite, après du harcèlement moral et sexuel, des actes et paroles déplacées répétées bien trop de fois, je décide de démissionner. Cette fois, c’est la bonne, je vais reprendre mes études, je n’ai plus le choix, je viens de lâcher mon CDI et l’idée de retrouver un travail m’effraie après tout ce que j’ai traversé. Je décide de me tourner vers la communication et le marketing, certains me diront que ce n’est pas le choix le plus judicieux quand on voit le nombre de jeunes diplômés dans ce domaine au chômage, et je dois l’avouer, cela me fait peur. Mais je décide de quand même me tourner vers cette voie, j’ai repéré une école, je me lance enfin et je candidate, l’entretien se passe bien, l'épreuve écrite un peu moins, mais je ne me décourage pas et j’attends avec impatience la réponse pour savoir si je suis admise. Seulement, voilà, les semaines passent et rien. C’est la douche froide, je n’ai pas de plan B, aucune autre école ne me plaît, je réalise que j’ai été bien naïve, ou peut-être trop présomptueuse, à croire qu’ils attendaient après moi, que j’étais l’élue, le candidat en or qu’ils rêvaient d’avoir. 

Après la désillusion arrive la panique, on est presque au mois de mai, j’ai déjà soufflé mes 24 bougies, le tic-tac de l’horloge de la vie se fait de plus en plus fort. Qu’est-ce que je vais faire maintenant, et puis de toute façon, je sais au fond de moi que je ne veux pas réellement reprendre mes études, mais je dois voir la réalité en face, avec seulement une licence en poche, je n’irais pas bien loin. Il y a le jugement de ma famille aussi, ma grand-mère qui raconte à qui veut bien l’entendre à quel point elle est déçue de sa petite-fille qui a abandonné ses études. Il y a mes amis et tous les autres de mon âge aussi, qui avancent, réussissent, font des plans pour leur avenir. Et il y a moi, victime de mes propres attentes, mon propre ego, et de cette petite voix dans ma tête qui me répète sans cesse que je n’accomplirais rien, que je ne suis bonne à rien. Elle est fourbe cette petite voix, ma propre voix, j’ai beau tenter de la faire taire, lui montrer que je peux faire, elle a toujours le dernier mot. Elle me rappelle que si j’en suis là ce n’est pas parce que les lumières étaient toujours tournées vers mon frère qui devait, lui, subir les attentes de mes parents, de mes grands-parents, et être un exemple à suivre. Ce n’est pas non plus parce que je n’ai jamais été encouragée à faire de grandes choses, bien au contraire, mais plutôt parce que je n’ai jamais crû en moi-même pour les réaliser. Ce n’est pas non plus parce que les autres sont plus chanceux, talentueux, mais parce que je n’ai jamais eu le courage de prendre les risques nécessaires, trouvant du réconfort dans ce petit nuage noir que j’ai laissé grossir dans ma tête jusqu’à en faire fuir le peu de lumière qui tentait de s’y installer. 

Du poème à la réalité, la malédiction du figuier de Sylvia Plath

Alors je me questionne, et j’aimerais bien savoir moi, monsieur Wilde, qu’advient-il de ceux qui ne savent pas ce qu’ils veulent être, mais qui sont incapables de devenir quoi que ce soit. Ceux qui ont vu le train de la vie passer devant eux, mais qui malgré l’envie de monter dedans se sont contentés de rester sur le quai, leur valise remplie d’espoir et de rêves à leurs pieds. Ceux qui ne savent pas quoi, ni qui être, non pas parce qu’ils souhaitent être plein de choses et laisser la vie les guider, mais plutôt ceux qui ne savent pas, car face à eux au lieu de voir un champ de possibilités, ils ne voient qu’une étendue vide, prête à s'effondrer s’ils y posent un pied. Qu’advient-il de ceux qui ne comprennent que trop bien ce que Sylvia Plath dit un jour, ceux qui voient les figues de l’arbre de leur vie s’écraser au sol et pourrir, car ils sont incapables de voir les nouveaux fruits qui ont poussé et qui n’attendent qu’une chose, d’être cueillis. Qu’advient-il des laissés-pour-compte, des enfants perdus que l’âge adulte a détruit pour ne laisser que des morceaux de rêves brisés, qui espèrent désespérément trouver le remède de leur mélancolie et de leur nostalgie d’un avenir meilleur qui leur était promis.

Découvre mes autres articles

Plonge dans mon univers en explorant mes autres articles.