Couper mes pensées
J'aimerais couper mes pensées, cesser d'aimer, arrêter d'exister. N'être qu'un corps vide, qui pourrait enfin goûter au néant. Voilà qui me semble être la plus douce des peines.
L'alexithymie, ou l’incapacité à identifier ou exprimer des sentiments, est le mal dont souffre Yunjae, le personnage principal du roman Almond de Won-pyung Sohn. Frappé par une tragédie, cet adolescent d'à peine 15 ans se retrouve face à lui-même, confronté à son inhabilité à ressentir la moindre émotion, une incapacité qui le suit depuis l'enfance.
Pour la première fois de ma vie, je ressens une immense jalousie, une envie dévorante de cette maladie. Quelle délivrance ce serait de ne plus rien ressentir, ni le bon ni le mauvais. Moi qui ai longtemps cru être incapable d'aimer, j'ai fini par me heurter à la réalité d'un cœur brisé. Et malgré tous les progrès de ce monde, aucune colle à cœur brisé n'a encore été inventée. Me voilà donc seule, face à mes pensées, face à mes peurs et mes regrets, incapable de stopper ce tourment intérieur.
C'est pourtant l'histoire de l'humanité : aimer et être aimé en retour. Depuis notre plus jeune âge, l'amour est présenté comme le Saint Graal, une quête que nous nous devons de mener à bien. Car que reste-t-il d'une personne sans l'amour d'un autre ? Peut-être est-ce pour cela qu'il m'est si difficile de le laisser partir, cet amour que j'avais enfin trouvé. Donner son cœur n'est pas chose aisée, et c'est une erreur qui engendre bien trop de regrets. On nous présente l'amour comme une chose si douce, pourtant maintenant que j'ai goûté à ce nectar, j'aimerais pouvoir le recracher, en effacer le goût à jamais.
Si l'amour fait de nous des humains, et si être humain implique toutes ces peines et ces deuils, alors faites de moi une bête, un monstre, qui n'hésiterait pas à s'arracher un membre, et même le cœur, pour continuer d'avancer.
Pour une fois, je voudrais étouffer ce cœur qui ressent trop. Qu'il ne reste qu'un pantin sans âme, dont plus une larme ne pourrait couler, dont plus un souffle ne pourrait s'échapper. J'aimerais ne plus avoir de pensées, les couper, les arracher comme on cueille une fleur. Prenez mon cœur, emportez ma tristesse avec, je les préfère loin de moi, je les préfère inexistants.
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